Nos convictions en matière de stratégies d’apprentissage sont-elles justes ?

Grâce à une présentation de recherches en sciences cognitives, m’ouvrage Mets-toi ça dans la tête !, écrit par P. C. Brown, H. L. Roediger, M. A McDaniel(1), apporte un éclairage bienvenu, émaillé d’exemples concrets, sur de nombreuses questions relatives aux stratégies d’apprentissage. Une réponse contre-intuitive fort intéressante à la question ci-dessus y est notamment proposée.

Dans cet article, nous allons nous concentrer sur deux études portant sur des capacités psychomotrices, mais les principes mis en exergue par les chercheurs s’appliquent également aux apprentissages cognitifs(2).

Diversifier le travail permet de discerner les éléments de contexte et de développer une meilleure capacité à mettre en œuvre des stratégies différentes dans des situations différentes.

L’apprentissage intensif a longtemps été de mise chez les sportifs : travailler son revers, son crochet du gauche, son putt à 6 mètres… L’entraînement consiste à répéter le geste à de multiples reprises pour le perfectionner. Or on se rend peu à peu compte que l’on a tout intérêt à s’entraîner de manière plus diversifiée.

Les auteurs rapportent les résultats d’une première étude(3) qui pourrait vous surprendre.

« En cours de sport, un groupe d’enfants de huit ans s’entraînent à lancer des balles de jonglage dans les seaux. La moitié doit les lancer dans un seau situé à un mètre. L’autre moitié alterne des lancers à cinquante centimètres et des lancers à un mètre cinquante. Au bout de douze semaines, tous les enfants sont évalués sur des lancers à un mètre. Et les enfants qui réussissent le mieux, de loin, sont ceux qui se sont entraînés à lancer alternativement à cinquante centimètres et à un mètre cinquante, mais qui n’ont jamais lancé à un mètre. »(4)

Lorsqu’on lance des balles dans les seaux à des distances variées, on diversifie l’entraînement. Cela améliore la capacité à transférer un apprentissage d’une situation à une autre.
Diversifier le travail permet de discerner les éléments de contexte et de développer une meilleure capacité à mettre en œuvre des stratégies différentes dans des situations différentes.

certaines difficultés pendant l'apprentissage, qui ralentissent celui-ci en nécessitant plus d'efforts, conduiront en fait à une mémorisation plus solide des connaissances

En outre, les psychologues ont montré que, pour apprendre, ce qui est plus facile n’est pas forcément mieux.

Lorsqu’on veut inscrire en profondeur une connaissance ou un savoir-faire, « (…) plus celle ou celui-ci est facile à retrouver, moins l’acte même de récupération contribue à fixer la connaissance ou le savoir-faire en question. Inversement, plus l’effort à faire est conséquent, plus le fait même de se remémorer une chose fixera celle-ci dans la mémoire à long terme. »(5).

Pour étayer ce point, les auteurs évoquent une autre étude(6), réalisée cette fois auprès de joueurs de base-ball très expérimentés. Ces joueurs ont néanmoins accepté de se livrer à une expérience dans l’objectif d’améliorer encore les performances à la batte. Cela a impliqué pour eux deux entraînements de plus par semaine, pendant six semaines. Une moitié des joueurs a suivi un premier type d’entraînement (une pratique massée) et l’autre moitié, un deuxième type d’entraînement (une pratique diversifiée). Le but était de voir quel régime d’entraînement produisait les meilleurs résultats.

Le premier régime d’entraînement était standard : quarante-cinq lancers divisés en trois séquences de quinze lancers du même type (ex : quinze balles rapides, puis quinze balles courbes puis quinze balles avec changement de vitesse). « Sur chaque série de quinze lancers, le batteur s’améliore, anticipe mieux le type de balle et arrive mieux à frapper. C’est un exercice gratifiant et qui rend l’apprentissage facile en apparence. »(7)
Le deuxième régime d’entraînement était plus difficile : quarante-cinq lancers entremêlant les trois types de balles de manière aléatoire. « (…) le batteur ne savait jamais à quel type de balle il pouvait s’attendre. À la fin des quarante-cinq lancers, il avait toujours du mal à bien frapper la balle, et semblait loin de l’aisance dont pouvait faire preuve ses camarades de l’autre groupe. L’entremêlement et l’espacement des différents types de lancers rendaient l’apprentissage plus ardu et, en apparence, plus lent. »(8)

À la fin de l’expérience, les deux groupes avaient progressé, mais les joueurs qui s’étaient pliés au 2ème régime d’entraînement se distinguaient nettement des autres.
Quand on imite les défis posés dans la pratique (comme avec l’entremêlement et l’espacement des différentes types de lancers), on améliore le transfert, c’est-à-dire la capacité à appliquer ce que l’on a appris dans des contextes nouveaux. Pour ces batteurs expérimentés, s’astreindre au 2ème régime d’entraînement a favorisé la construction d’un répertoire plus vaste permettant de distinguer le type de lancer et d’adapter leur réaction au lancer en question.

Les auteurs retiennent deux leçons majeures de cette expérience :

  1. notre jugement est souvent erroné en matière de stratégies d’apprentissage, en proie aux illusions de maîtrise ;
  2. certaines difficultés pendant l’apprentissage, qui ralentissent celui-ci en nécessitant plus d’efforts, conduiront en fait à une mémorisation plus solide des connaissances.

La plupart d’entre nous avons la conviction que nous apprenons mieux en nous concentrant à fond sur une seule chose.  Certes, nous progressons quand nous « bûchons ». « Les chercheurs qualifient de « force momentanée » ce surcroît de performance obtenu pendant la phase d’acquisition ; ils le distinguent d’une « force sous-jacente habituée ». Or, justement, les techniques d’apprentissage qui permettent de construire cette force de l’habitude – à savoir espacement dans le temps, alternance, variation – ralentissent les progrès visibles et n’offrent donc pas ce surcroît de performance qui aide à se motiver et à redoubler d’efforts pendant la phase d’apprentissage. »(9)

Comment renforcer la mémoire et construire une force de l’habitude ? Réponse des auteurs : en travaillant par session et en espaçant les moments d’étude.

Quel temps faut-il laisser s’écouler entre deux sessions ? Suffisamment pour qu’un peu d’oubli ait pu se faire. De cette façon, un effort sera nécessaire la fois suivante ! De plus, le sommeil jouant un rôle majeur dans la consolidation de la mémoire, les auteurs recommandent de laisser un ou deux jours s’écouler entre deux sessions.

 

(1) P. C. Brown, H. L. Roediger, M. A McDaniel (2016). Mets-toi ça dans la tête ! Markus Haller.
(2) Les auteurs expliquent que d’autres recherches ont permis de prouver que ces principes s’appliquent aussi aux apprentissages cognitifs.
(3) L’étude en question est rapportée dans R. Kerr & B. Booth, Specific and varied practice of motor skills, Perceptual and Motor Skills 46 (1978), p. 395-401.
(4) P. C. Brown, H. L. Roediger, M. A Mc Daniel (2016). Op. cit., p. 71.
(5) Ibid., p. 105.
(6) L’étude est rapportée dans K. G. Hall, D. A. Domingues & R. Cavazos, Contextual interference effects with skilled base-ball players, Perceptual and Motor Skills 78 (1994), p. 835-841.
(7) Ibid., p. 106.
(8) Ibid., p.106.
(9) Ibid., p. 88.

 


Johanna Boulanger-Laforge
(Directrice pédagogique de l’efh)